L’invité du jeudi

Daniel Liénard et son combat contre l'amiante

"Ne pas sacrifier la santé au fric"

  

Marié et père de trois enfants, Daniel Liénard, 54 ans, préside l'association "l'amiante et les anciens salariés exposés d'Hazemeyer et d'Unelec", créée avec un collègue en mars 2000. L'homme a travaillé au contact de l'amiante toute sa vie. En cessation d'activité et en bonne santé aujourd'hui, Daniel Llénard parle d'une épée de Damoclès au-dessus de son existence. Interview quelques jours après une grande victoire judiciaire des victimes de l'amiante.


Quel est votre parcours professionnel ?

"Je suis un ancien d'Hazemeyer et d'Unelec, J'ai démarré à Hasemeyer comme apprenti à 14 ans, pour y travailler jusque 19881. J'ai ensuite rejoint Unelec jusqu'en 19998 et mon licenciement économique. J'ai gravi les échelons d'ouvrier, technicien d'atelier pour finir agent de maîtrise. J'ai été responsable de la partie fusibles revendue à Unelec. Tout ce qui avait trait à l'amiante est parti chez Unelec qui en avait depuis 1937 ".

Votre situation aujourd'hui.

" Je ne travaille plus. Je touche l'allocation amiante, 65% de mon ancien salaire brut, depuis octobre 2001, un mois après que Hazemeyer et Unelec ont été reconnus au Journal officiel. C'est le cas d'à peu près 150 personnes de l'association qui en ont fait la demande. C'était à l'origine l'objet principal de l'association ".

Que pèse justement votre association ?

" On est près de 500 adhérents. On s'est aperçu rapidement qu'il y avait eu des décès depuis plusieurs années. On a recensé une vingtaine de décès de personnes ayant pu être contaminées par l'amiante qui n'était pas reconnue à ce moment-là, et une quinzaine de dossiers déposés en demande de maladie professionnelle auprès de la Sécurité Sociale. Entre-temps, un camarade pris en charge par l'ANDEVA (Association Nationale des Victimes de l'Amiante) est malheureusement décédé en août 2001 d'un cancer du poumon. C'est le premier de l'association, dont la mort a été officiellement reconnue comme causée par l'exposition à l'amiante ".

Comment est née votre association ?

"En 99, j'ai appris a posteriori qu'un débat pour les entreprises s'était tenu sur l'amiante. Nous qui étions suivis médicalement pour l'amiante, qui avions une attestation d'exposition, on était informé de rien. Avec mon collègue Jean-Paul Brisset, le trésorier, on a créé l'association pour avoir du poids. On a bien vu en 99 que les gros trusts, chantier naval, industrie automobile, allaient être concernés par l'allocation amiante, à l'inverse des petites entreprises. Ce fut notre premier combat. Le suivi médical est le deuxième objectif de l'association. Le troisième objectif, c'est de défendre les malades de l'amiante, qu'ils soient indemnisés ainsi que leurs ayants droits en cas de décès. Tout seul on ne serait arrivé à rien ".

Combien de personnes sont concernées par le problème ?

" Plus de 3 000 pour nos deux entreprises. Un millier de personnes pour Hazemeyer reconnu entre 48 et 91 et plus de 2 000 chez Unelec entre 1937 à 1995. La rencontre avec la ministre Elisabeth Guigou à SaintQuentin en 2001 a été déterminante, tout comme le soutien de la députée Odette Grzegrzulka. L'amiante a été interdite en 97. En 2001, il y avait encore des pièces en stock avec de l'amiante chez Unelec. On demande que la reconnaissance soit étendue de 96 à 2001. Seules les entreprises où l'on a manipulé de l'amiante, pour leurs propres produits, peuvent être reconnues. Des salariés de plusieurs entreprises locales se sont renseignés auprès de moi. Leurs demandes'doivent être destinées à l'inspection du travail. Je les dirige aussi vers l'ANDEVA, l'Association Nationale des Victimes de l'Amiante "


Le poste de travail est-il déterminant pour la reconnaissance de l'exposition?

" Parler de poste est restrictif. Quel que soit l'endroit de l'atelier, les fibres étaient présentes dans l'atmosphère et ont été inhalées, respirées pendant de longues années. Imaginez l'impact sur l'air environnant, quand on coupait des rondelles d amiante. avant de souffler autour à l'air comprimé. Les entreprises ont été  mises en garde en 1976. Nous,, on  a commencé des travaux dans les ateliers pour éliminer au maximum les poussières d'amiante en 86. Dix ans après, on a fait des aménagements draconiens, On avait pratiquement plus le droit de toucher à rien et en même temps on laissait des pièces dans les stocks. Le premier discours des entreprises fut longtemps de dire que l'amiante était irremplaçable. Surtout parce que c'était peu cher. Dès que le gouvernement a interdit l'amiante, c'est devenu beaucoup plus cher et de nouveaux produits de remplacement sont arrivés et ont donné entière satisfaction, C'est ça l'aberration ".

Que savez-vous sur les maladies autour de l'amiante ?

" La maladie se déclare entre 20 et 40 ans après l'exposition. Le pic de décès est pour 2020, selon le docteur Claude Got qui prévoit 15 000 morts par an entre 2005 et 2010 ".

La semaine dernière, la Cour de cassation a confirmé les arrêts en appel, favorables aux salariés, en reconnaissant la notion

" de faute inexcusable et l'obligation de résultat " pour les entreprises qui ont exposé leurs salariés aux risques de l'amiante.


"C'est une victoire très importante pour tout le monde, pas seulement pour les victimes de l'amiante. Ça fait jurisprudence pour que les entreprises soient reconnues responsables en cas de risque sur la santé de leurs employés. C'est une grande avancée. C'est reconnaître les salariés comme des êtres humains et non pas comme des robots. Pour qu'il n'y ait plus jamais

ça avec l'amiante, ou avec autre chose. Pendant un an j'ai suivi le collègue décédé, sa détresse. Il savait son terme, la chimiothérapie, l'enlèvement d'un poumon. Qu'on ne

laisse, plus les industriels, les gouvernants sacrifier la santé des gens, ne pas les avertir et les prémunir, pour une question de fric!"

Recueilli par Nicolas TOTET


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